La Mauritanie –impressionnantes avancées dans le domaine des droits de l’homme

Entretien avec Son Excellence le Ministre Mohammed El Hassen Ould Boukhreiss,

  • Commissaire aux Droits de l’Homme,
  • à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile

C’est rare d’entendre parler de la Mauritanie.

Ouverte sur l’océan Atlantique ce pays africain est situé  entre le Sahara Occidental et le Sénégal, il est  doté d’immenses  ressources halieutiques, agricoles, minières et gazières et d’une côte d’environ 700 km le long de l’océan atlantique.

On a eu la chance de rencontrer Son Excellence dans le cadre  du segment du haut niveau de la 43ème session  du Conseil des droits de l’homme à Genève. A noter que la Mauritanie est à sa deuxième élection  en qualité d’Etat membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies

Laissons son Excellence, monsieur le Commissaire, nous en parler davantage.

Q : Monsieur le Commissaire, vous êtes venu ici pour le Conseil des droits de l’homme. Quel est le message que vous souhaitiez faire passer ?

Nous sommes une forte délégation qui vient assister à la 43e session du Conseil des droits de l’homme. C’est l’occasion pour nous, la délégation mauritanienne, de faire part de nos avancées dans le domaine des  droits de l’homme. En tant que pays sahélien, nous avons notre lot de problèmes, mais nous avons également nos atouts. Notre pays  étant  multiracial et multiculturel, nous affichons cette dimension  comme une force et non comme une faiblesse.

Nous travaillons nos politiques de développement pour les harmoniser dans toutes les régions de notre  pays. Nous avons également l’héritage d’un phénomène historique commun à toute humanité. C’est l’esclavage.

En Mauritanie, nous avons adhéré  aux principaux traités internationaux des  droits de l’homme.

Nous avons érigé  la  pratique d’esclavage en crime contre l’humanité dans notre constitution. Ce qui fait que notre pays est devenu l’un des rares pays au monde à le faire

Nous nous sommes orientés vers des politiques appropriées pour éradiquer l’esclavage avec des réformes, de campagnes de  sensibilisation et des programmes économiques et sociaux. Notre pays est entré dans un nouveau contexte, le 1er août 2019, à la suite de l’élection présidentielle. Nous sommes en train de vivre une expérience nouvelle avec un Président démocratiquement élu qui prend le relais d’un autre Président démocratiquement élu, chose inhabituelle dans notre pays. Par le  passé, notre mode de changement de régime était  fortement marqué  par les coups d’état.  Cette expérience démocratique pacifique  nous permet de rejoindre le concert des nations et jouer pleinement notre rôle au sein de la communauté internationale.

Dès son élection à la magistrature suprême, notre Président a fait de la lutte contre la discrimination et  l’exclusion les principaux axes de son programme de gouvernance. Cet engagement du Président s’est traduit par l’affectation de 10% du budget national pour la lutte contre l’exclusion et la marginalisation, notamment les séquelles de l’esclavage.

Cette orientation stratégique s’est traduite par la mise en place d’une nouvelle agence dénommée TAAZOUR. Cette nouvelle agence, chargée de la lutte contre la discrimination et l’exclusion, tout en axant ses interventions autour des activités qui renforcent essentiellement  la cohésion sociale. Nous avons pris des mesures qui traitent uniquement des séquelles de l’esclavage, telles que la gratuité de l’éducation et des  soins de santé pour les citoyens pauvres  du pays.

Nous avons également rendu gratuits tous les soins d’urgences. De plus, toutes les évacuations entre les hôpitaux sont également devenues gratuites.

Dans notre programme de lutte contre la pauvreté et contre les séquelles de l’esclavage, nous luttons également contre le travail des enfants. Comme vous le savez peut-être, dans plusieurs régions  du monde, les enfants sont utilisés comme main d’œuvre. Il est très difficile de séparer ces enfants de leurs parents, car ils sont leurs seules sources de revenus. Nous avons innové en créant un programme qui s’appelle Cash Transfer. Cela veut dire que  pour une famille qui a un ou deux enfants qui travaillent et qui rapportent à la famille quelque chose comme 300 euros par mois, le gouvernement mauritanien  exige que ces enfants aillent à l’école, et en contrepartie, le gouvernement fournit une allocation à la famille pour  l’équivalent de ce montant. Nous avons également  considéré que le vrai esclavage est le résultat  de l’ignorance. Car une population qui ne va pas à l’école rentre inéluctablement dans un cercle vicieux, et il est difficile de l’en sortir. Ce programme va toucher 200 000 foyers, et comme nous comptons à peu près huit personnes par foyer, il y a 1 600 000 personnes qui seront couvertes directement ou indirectement  par ce programme de Cash Transfer. Cela représente à peu près, 40 % de la population en Mauritanie.

Par ailleurs, Nous avons également lancé un vaste programme de financement pour 6 000 femmes. Ce programme vise essentiellement à l’intégration des femmes dans la sphère économique. Dans le même programme, nous avons ciblés 3 800 personnes handicapées. Une façon de mieux intégrer les personnes handicapées dans la vie active et de leur donner l’opportunité de s’épanouir.

Une loi a été également votée pour rendre toutes les infrastructures publiques accessibles aux personnes handicapées.

Ce qu’il est important de noter, c’est que notre pays est résolument engagé à éradiquer le phénomène de l’esclavage et ses séquelles.

Je ne dis pas qu’il n’y en a plus du tout, car il y aura toujours des actes isolés, mais ce qui est sûr en Mauritanie, c’est que les pratiques esclavagistes sont fortement punies par la loi. Il convient à cet égard de préciser la création de tribunaux spéciaux pour juger les questions relevant des pratiques esclavagistes Tous les frais afférents à la procédure sont à la charge de l’État. En plus, nous avons également des dispositifs qui prennent en charge les personnes victimes.

Q : Je ne connais pas bien l’histoire de votre pays. Pourriez-vous m’éclairer un peu sur cette question de l’esclavage ?

L’esclavage dans cette partie du monde est le résultat d’un rapport de forces historique. Des êtres humains ont fait l’objet de traites durant des siècles, à travers les voiliers et les razzias suite auxquelles des prisonniers étaient transformés en esclaves. Le premier contact de cette partie du monde avec l’Occident date du 15e siècle quand nous avons vu s’installer des comptoirs portugais et hollandais au nord de la Mauritanie. Il y avait des rois autochtones, et des populations ont été échangées contre du sel, des parures et tissus. Mais les sociétés ont beaucoup évolué par la suite, en raison de l’émergence d’une conscience universelle dénonçant ces pratiques abjectes et de l’évolution des mentalités.

L’esclavage en Mauritanie n’est pas une question liée à la couleur. Il y a des gens de peau claire qui exploitent des personnes noires, il y a des noirs qui exploitent des noirs, et il y a des blancs qui exploitent des blancs.

Au niveau des mentalités, le phénomène est resté malheureusement héréditaire. Vous êtes né esclave, donc vos descendants le resteront.  Pour lever toute équivoque et dès son indépendance en 1960, la Mauritanie a, dans sa première constitution de mai 1961, proclamé que tous les Mauritaniens sont égaux devant la loi et qu’ils jouissent tous des mêmes droits. Bien évidemment, quand on a été servile, on met du temps pour se débarrasser des carcans de ce triste fardeau.

En effet l’aspect psychologique n’a jamais été intégré dans le traitement de ce phénomène. On a toujours traité cela sous un angle économique bien que l’aspect psychologique soit encore plus important. Comment surmonter sa peine ? Celui qui a été esclave ou dont la famille a été exploitée a, en effet, besoin d’un soutien psychologique. Cette dimension a été intégrée finalement dans la lutte contre l’esclavage et ses séquelles avec les campagnes de sensibilisation, les reformes juridiques et les programmes économiques et sociaux.

Nous avons mis en place un arsenal juridique très contraignant pour faire face à cette problématique. Dans les prochaines semaines nous allons voter une loi qui réprime la violence contre les femmes et les filles. Il existe déjà un projet de loi contre la traite des personnes. Un plan d’action de lutte contre la traite des personnes est en train d’être adopté. Nous avons également eu l’occasion de nous attaquer au problème de la société civile, c’est-à-dire d’essayer de la doter d’un texte réglementaire qui puisse répondre aux défis et aux exigences relatives – à sa professionnalisation, sa gouvernance-, pour qu’elle puisse devenir un partenaire capable de jouer pleinement son rôle.

Q : Comment se fait-il que nous sommes si peu au courant de ce qui  se passe chez vous ?

Nous avons constaté qu’il y avait une grande faiblesse dans  la visibilité de  nos  stratégies. Cette faiblesse est due  à un  déficit  de communication. C’est la raison pour laquelle le Commissariat aux Droits de l’Homme est en train de mettre en place  une stratégie de communication pour déterminer  le meilleur moyen de faire entendre notre voix, et de communiquer  sur ce que nous sommes en train de faire.

Notre approche s’inscrit dans une vision d’ensemble pour les ambitions que nous avons pour le pays en tenant compte de ses spécificités. Nous voulons  que tout le monde connaisse ses droits, les lois, et contribue pleinement au développement du pays.

Dans notre pays, 60 % de la population est analphabète, et 41 % vivent sous le seuil de la pauvreté. Afin de mieux vulgariser les textes et lois, nous utiliserons maintenant le théâtre et le cinéma.

Nous sommes en train de traduire en courts métrages de sensibilisation les traités des droits humains auxquels la Mauritanie a souscrit. La prochaine étape sera  leur  mise en scène à travers  des films. Nous  évoluons vers une sensibilisation de masses avec l’audiovisuel et le théâtre. Nous  aurons  donc des films sur tous les thèmes. L’objectif principal est faciliter l’appropriation des droits et de favoriser ainsi leur protection.

Q : La Mauritanie avec ses larges  côtes – vous devrez être un pays potentiellement riche.

Nous sommes potentiellement riches. Depuis 1963 nous produisons entre 9 000 et 12 000 tonnes de fer par an, et nous avons une des côtes les plus poissonneuses du monde. Avec  a un poisson qui est très prisé en Europe.

Nous disposons également d’énormes potentiels miniers, et nous avons commencé à exploiter une mine d’or en 2012. La deuxième va ouvrir bientôt. La nouveauté réside dans l’exploitation d’un champ gazier prévu à l’horizon de 2021, qui sera exploité par BP.

Le nouveau pouvoir politique fait de la lutte contre la corruption son cheval  de bataille. Dans les prochaines années, nous espérons pouvoir venir à bout de ce fléau qui plombe notre développement. C’est un vaste chantier, il faut y croire et il faut surtout participer pour relever les défis.

Q : Comment allez-vous changer l’image de votre pays ? Etant donné que vous  avez cette étiquette de l’esclavage. Quelle image que vous souhaitez que les gens aient de votre pays ?

Nous souhaitons véhiculer une image d’un pays multiracial, qui fait de sa diversité culturelle sa force et non  sa faiblesse. Nous savons que parmi toutes les communautés en Mauritanie il y a beaucoup plus de ressemblances que de différences, et nous souhaitons que ceux qui nous jugent, respectent ce qui nous unit et non, ce qui peut nous diviser.

Il convient également de rappeler que nous sommes dans un environnement particulièrement hostile, d’abord avec l’espace  Saharo-Sahélien devenu particulièrement trouble suite à la dislocation de la Libye, avec des groupes terroristes qui foisonnent. Je crois qu’on a déjà suffisamment de  germes de déstabilisation dans la région et qu’il n’est pas besoin d’en rajouter.

Notre pays est en train de veiller à l’équité, la cohésion et la sécurité avec l’adoption d’une réglementation pour que tous les discours extrémistes ou à connotation haineuse ou discriminatoire soient réprimés par la loi.

Nous voulons donner l’image réelle de notre pays, un pays où il n’y a pas de violations des droits de l’homme, un pays où il y a une vraie coexistence pacifique, qui respecte les droits et qui lutte contre les abus

Je vous rappelle que les derniers problèmes intercommunautaires datent de 1989 !

Nous sommes enfin  un pays où toutes les composantes contribuent au développement du pays. Il existe certes des problèmes, mais nous souffrons réellement plus, de notre passé, que de notre présent. Et nous sommes optimistes quant à notre avenir.

Q : Quel est votre langue officielle ?

La langue officielle est l’arabe, à laquelle s’ajoutent  trois langues nationales : le poular, le wolof et le soninké. Tout le monde apprend l’arabe et le français, et depuis quelque temps on a introduit l’anglais dans le cursus scolaire. Il faut également signaler que le Président de la République a entrepris une réforme de notre système éducatif, avec le  retour à l’école républicaine. Dès  l’année prochaine, les premiers niveaux du primaire seront l’apanage de l’école publique. Cela veut dire que tous les enfants mauritaniens auront l’opportunité d’apprendre tous dans les mêmes conditions. Ce qui n’était pas le cas aujourd’hui.

Q : La Mauritanie est un pays islamique. Avez-vous eu des problèmes d’intégrisme ?

Nos imams sont formés chez nous, et nous avons une expérience unique qui a contribué significativement  à la déconstruction des croyances et discours fondés sur des  idéologies  terroristes et islamistes radicales. Nous avons organisé des débats religieux sur l’ensemble du territoire national. Ces débats ont produit des résultats très positifs au niveau de la société mauritanienne.

La Mauritanie est un pays à 100 % musulman, et nous avons un islam tolérant et modéré.

En laissant le ministre et ses collègues aller à leur prochain rendez-vous, on ne peut que leur souhaiter beaucoup de succès et réussite dans leurs chantiers. La volonté y est, c’est certain.